La décision de la Cour de justice de l’UE rend encore plus urgente la révision du statut des loups dans la Directive «Habitats» si l’on veut préserver le pastoralisme en Europe!
L’information a fait peu de bruit, malgré son importance. Le 10 octobre dernier, la Cour de Justice rendait un arrêt dans le cadre d’une saisine de la cour administrative suprême de la Finlande pour des questions préjudicielles[1] concernant des mesures relatives à la gestion de la population de loup. Dans son arrêté, la Cour prévoit la possibilité de dérogations à une protection stricte du loup, tout en enrobant sa décision de très nombreux garde-fous, limitant autant son interprétation que son application. Aujourd’hui le loup dans un grand nombre de territoires en Europe n’est plus menacé, à l’inverse du pastoralisme. Face à cette situation, nous éleveurs, bergers, avons besoin de clarté et d’actes concrets: il est urgent d’avoir des dérogations claires et de mettre à jour les annexes de la directive «Habitats» et de la convention de Berne!
Le loup (Canis lupus) a été inscrit en 1992 à l’article 12 et à l’annexe IV de la directive européenne Habitats, permettant à l’espèce de bénéficier d’un régime de protection stricte afin de garantir un état de conservation favorable de la population et de son habitat, à un moment où sa population était menacée en Europe. La situation a bien changé depuis. Avec plus de 17.000 loups recensés sur le continent[2], une réelle pression s’exerce actuellement sur les troupeaux, les éleveurs et les activités humaines sur les territoires prédatés.
Il semble aujourd’hui que le seul objectif de la Cour de justice et de l’avocat général soit la viabilité de l’espèce lupine, quels que soient les dommages causés par les loups à l’économie des territoires. Si je prends l’exemple de la France, le nombre de moutons tués dépasse le seuil de 10.000 victimes par an. Cela représente un coût total annuel de protection du loup estimé à plus de 30 millions d’euros, qui est en partie prélevé sur le budget du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). En d’autres termes, un coût d’environ 60 000 euros par loup en 2018[3]. À titre de comparaison, sur la même période, le revenu moyen des producteurs ovins tournait autour de 17 000€ et 37 000 € selon les productions[4].
Force est de constater qu’il existe un prisme assumé de la part des institutions européennes quant à la protection du loup, la plaçant au-dessus du bien-être de l’homme et des animaux domestiques d’élevage. Et cela émerge de manière notoire dans la motivation de la Cour de justice rendue le 10 octobre dernier, lorsqu’elle met en avant le principe de précaution (inscrit à l’article 191$ 2 TFUE). En effet, elle déclare que dans la mise en œuvre des cas de dérogation à l’interdiction de la gestion des populations de loups, les incertitudes liées au maintien ou à la nuisance de l’état de conservation favorable de l’espèce après examen des meilleures données scientifiques doivent conduire l’Etat membre à « s’abstenir de l’adopter ou de la mettre en œuvre ».
Le constat est donc inéluctable: le régime de protection stricte des loups n’est plus adapté dans la plupart des pays européens. Sans un véritable changement de perception de la part des pouvoirs publics, c’est bien l’avenir de nos activités pastorales et de la sécurité des populations de nos territoires qui se pose.
Dans son arrêt, dont certains pourraient soutenir qu’ils dépassent le texte de la directive, la CJUE a confirmé qu’à l’heure actuelle, les États membres n’avaient pas la souplesse voulue pour gérer efficacement les populations de loups dans leurs pays respectifs. Compte tenu des dommages croissants causés au secteur de l’élevage et de son impact sur le bien-être des animaux, il est aujourd’hui essentiel de revoir les annexes de la directive «Habitats» et de la convention de Berne pour permettre la gestion active du loup en Europe. Si nous voulons préserver le pastoralisme et les zones rurales dynamiques, nous devons agir rapidement!
De nombreux parlementaires européens réunis le 15 mai 2018 à Bruxelles ont également conclu à la nécessité de rouvrir la Directive Habitats pour enfin donner les moyens aux éleveurs de vivre sereinement et d’exercer dans des conditions humaines leur métier. Nous espérons que les nouveaux parlementaires élus en mai 2019, auront le courage et la volonté de passer des mots aux actes.
Dans un contexte de négociations complexes sur la prochaine PAC et son budget, il est temps que la Commission européenne d’une part et le Conseil européen d’autre part se saisissent de ce sujet afin d’envoyer un signal fort aux agriculteurs en réaffirmant la primauté du pastoralisme et de l’élevage en plein air sur l’ensauvagement aveugle des territoires ruraux. C’est aussi un fait, les activités de pastoralisme sont aussi les gardiennes de biodiversité et des paysages dans de nombreux territoires.
[1] Il s’agit de la possibilité ouverte aux juridictions des Etats membres de l’Union européenne de poser des questions relatives à l’interprétation du droit communautaire.
[2] https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2018/617488/IPOL_STU(2018)617488_EN.pdf
[3] http://www.leseleveursfaceauloup.fr/le-loup/le-cout-du-loup/
[4] http://idele.fr/?eID=cmis_download&oID=workspace://SpacesStore/b05e5486-4f6a-4a80-b104-f765241b1a7c
Eleveuse d’ovins dans le Puy-de-Dôme, Présidente de la Fédération Nationale Ovine (FNO) et Présidente du groupe de travail Ovin du Copa-Cogeca
Après avoir occupé différents postes dans l’immobilier et le secteur public, Michèle Boudion décide à l’âge de 26 ans d’entreprendre des études agricoles et de monter sa propre ferme (n’étant pas issue du monde agricole) à Allagnat, dans la région du CEYSSAR, dans le Puy de Dome. Son exploitation de 57 ha est spécialisée dans la production ovine avec un troupeau de 500 moutons de la variété Rava. Elle est membre de la COPAGNO (Coopérative des Producteurs de Moutons d’Auvergne).
Elle est aussi engagée dans les organisations agricoles où la défense du secteur ovin est l’une de ses principales priorités. Elle est devenue présidente de la FNO en avril 2015. Son parcours à ce poste reflète sa ténacité à faire avancer les intérêts de sa filière. Michèle Boudoin a également été administratrice au sein de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) de 2011 à 2014. Consciente qu’un certain nombre de décisions sont également prises à Bruxelles et, convaincue que l’Europe est infailliblement la voie à suivre, Michèle Boudoin a décidé de s’impliquer au sein du Copa-Cogeca où elle a été élue présidente du groupe de travail Ovin en 2017.