« Il faut doter la chaîne pyrénéenne des moyens de garantir la protection des troupeaux et des usagers. »

Installé sur la ferme familiale à Esplas de Sérou, en Ariège dans le piémont pyrénéen à 1000 mètres d’altitude, Franck Watts élève 220 brebis Tarasconnaises, la race locale des Pyrénées. En 2017, le dérochement sur le Mont Rouch provoqué par un ours a causé la perte de plus de 200 brebis. Franck Watts et le syndicat ovin de l’Ariège, dont il est administrateur, ont pris conscience de la menace et de la difficile cohabitation entre les 52 plantigrades nouvellement installés et l’activité pastorale séculaire. Depuis 2019, Franck Watts est responsable du dossier « ours » pour la FNO

 

 

Quelles conséquences l’ours a-t-il sur la filière ovine pyrénéenne ?

FW / La présence de l’ours remet en cause l’ensemble du système pastoral pyrénéen et s’attaque aux fondements même de cette activité séculaire. Le pastoralisme est pourtant parfaitement adapté à son milieu. La réintroduction des ours ne permet plus aux bergers et aux éleveurs de travailler sereinement et aux brebis de profiter de l’estive. Ils mettent tous les usagers de la montagne en danger et plus particulièrement les professionnels de l’élevage : risques d’attaques, perte de son troupeau, burnout… L’ours rajoute, en plus du stress, une somme de travail colossale et enlève la satisfaction du travail bien fait.

 

Quelle est l’ambiance sur le massif suite à la réintroduction de l’ours ?

FW / La réintroduction de l’ours a bénéficié dans les premiers temps de l’ignorance de la population y compris au niveau local. Beaucoup de gens n’avait pas d’avis sur ce sujet et n’avait pas conscience des conséquences, ni même de l’impact que l’arrivée des ours aurait sur le milieu. Depuis, même les habitants hors actif agricole ont conscience des difficultés de cette coexistence. Pendant des années, il n’y a pas eu de débats et nous étions minoritaires pour défendre le pastoralisme. Aujourd’hui, de plus en plus de monde a conscience des conséquences dramatiques de la présence des ours dans les Pyrénées. Le clivage entre pro et anti-ours se durcit, et le climat se dégrade au fil du temps.

 

Quelles appréciations avez-vous du Plan Ours actuel ?

FW / Les mesures prévues par le plan ours sont un centième de ce que l’on devrait faire à minima pour protéger nos troupeaux

Aujourd’hui, les moyens proposés sont dérisoires. Les mesures de protection ne fonctionnent pas. L’état impose aux  éleveurs la totalité de la charge de travail et même une part d’investissements matériels pour empêcher la prédation. Les moyens de protection imposent une modification en profondeur des pratiques ancestrales du pastoralisme pourtant adaptées au territoire. Les éleveurs ont déjà fait d’énormes efforts, souvent au détriment de bien-être des animaux : garde renforcée, bergers salariés, chiens de protection, regroupement nocturne et parcs de nuit pour ceux qui peuvent… et malgré tout les attaques ne cessent d’augmenter. En 2019, ce sont plus de 1270 brebis prédatées, reconnues imputables à l’ours en Ariège, et autant de disparues non retrouvées, non indemnisées… et les dégâts s’étendent aussi aux troupeaux bovins, aux chiens ou encore aux ruches.

 

Quels moyens permettraient de donner de la sérénité aux éleveurs ?

FW / Le prérequis serait de ne plus mépriser les éleveurs de la montagne, experts de leur milieu et de prendre en compte l’avis des populations locales… aucune consultation n’en a tenu compte. Les ours sont imposés, aucune solution viable pour l’élevage n’est proposée ou pensée.

Il faut doter la chaîne pyrénéenne des moyens de garantir la protection des troupeaux. Toutefois, je doute qu’aujourd’hui la protection soit humainement ou techniquement possible, tellement les moyens exigés sont gigantesques. La dépense ne serait pas acceptable par l’opinion publique. Je me demande si le gouvernement a réellement l’objectif de défendre le pastoralisme pyrénéen ou si c’est sa mort qui a été actée lors des premières réintroductions des ours. J’ai l’impression que l’Etat attend juste que les éleveurs se dégoûtent en raison de leur situation insoluble et d’une cohabitation impossible.