Jacqueline Dupenloup, maire de Saint-Alban-les-Villards en Savoie et Nicolas Joubert, maire de Châteaufort et éleveur de brebis dans les Alpes de Haute-Provence font cause commune pour défendre leurs villages des crocs du loup, au sein de l’Union pour la Sauvegarde des Activités Pastorales et Rurales. L’Usapr est une association nationale, implantée dans 15 départements français subissant une forte présence du loup
En tant qu’association d’élus, nous avons beaucoup à apporter au débat de la manière la plus calme et plus organisée possible pour dire : «Il ne faut pas laisser les éleveurs et les bergers seuls face aux loups»
Saint-Alban-des-Villards
Petite commune savoyarde, voisine de Saint-Colomban-des-Villards, Saint-Alban-des-Villards compte aujourd’hui 85 habitants. Perché entre 700 et 2700 mètres d’altitude, ce village était, autrefois, une commune des plus peuplées de la vallée. Aujourd’hui, ce sont les 500 brebis de la ferme de Françoise qui animent le petit bourg. Son troupeau est rejoint, à la belle saison, connu par celui d’autres fermes de la vallée et de la Crau, ainsi que par des vaches laitières. Les animaux pâturent sur les terrains communaux ou entretiennent des espaces privés laissés à l’abandon. Ici, le pastoralisme est extensif. Le loup est présent depuis plus de 20 ans et la commune a connu une période noire, entre 2014 et 2018, avec des charniers et des attaques à répétition.
Châteaufort
A quelques minutes de Sisteron dans les Alpes de Haute-Provence, Châteaufort est situé à flanc de montagne sur une zone escarpée et largement recouverte par la forêt à une altitude comprise entre 500 et 1300 mètres, dominant la vallée du Sasse. Avec 35 habitants, l’activité de cette commune rurale est tournée vers l’agriculture. Le village accueille deux fermes : l’une avec 500 brebis dirigée par Nicolas Joubert, maire de la commune et l’autre d’une cinquantaine d’ovins menée par un jeune couple de trentenaire nouvellement installé. Le loup a fait son apparition officielle en 2014. Chaque année, 10 à 15 bêtes disparaissaient. Régulièrement, des cadavres d’animaux sauvages sont retrouvés en bordure du village à 5 mètres des premières habitations.
Quelles conséquences le retour du loup a-t-il sur la vie de votre territoire ?
JD : Le loup a modifié, en premier lieu, les pratiques d’élevage. Dès que les prés reverdissent, les troupeaux quittent la plaine pour les alpages. Nous avions des secteurs de montagne où les bêtes allaient librement et dans lesquels il y avait un entretien pastoral. Avec les parcs de nuit et les filets obligatoires, cette pratique est complétement abandonnée.
NJ : Mon oncle est berger à l’année. Depuis toujours, la nuit, ses brebis dorment à l’intérieur. Avec le retour du loup, l’après-midi, elles dorment aussi en zone protégée et barricadée. Malgré la présence du berger, des 5 chiens de protection, des 5 chiens de berger, les attaques ont toujours lieu en journée. Les zones escarpées et boisées difficilement protégeables sont abandonnées par les bergers (10% de la surface de la commune environ) et il est plus difficile de trouver des bergers qui veuillent continuer en zone à loup. A terme, c’est l’abandon de nos territoires.
JD : Notre commune aussi est confrontée à ce problème. Les éleveurs des communes des Villards sont proches de la retraite. Nous ne savons pas si des jeunes auront envie de s’installer avec des contraintes aussi lourdes.
Seule l’activité pastorale est impactée ?
JD : La libre circulation est également remise en cause. Les éleveurs pour protéger les animaux installent des clôtures sur les chemins communaux qui traversent les parcs pâturés. Mais un fois entrée dans le parc, vous tombez sur le troupeau et les patous. Malgré l’important travail de socialisation et de dressage des chiens et la multiplication des campagnes de sensibilisation des usagers, la nécessité de multiplier les chiens de protection pose un énorme problème. Car la Savoie est avant tout un produit touristique fort, été comme hiver.
Certains maires se demandent s’ils ne vont pas prendre des arrêtés imposant à l’éleveur une certaine distance par rapport aux chemins communaux. Car les retours des touristes qui vont en montagne croyant être dans un état de liberté absolue, sont tels que les gens disent : « nous avons eu tellement peur, on ne reviendra pas ».
D’autres élus se demandent s’il faut entretenir les sentiers dans les lieux de pastoralisme. Car les habitants, eux-mêmes, sont gênés. Ils ne vont plus se balader, là où les troupeaux transhument. Voilà les questions qui sont débattues en ce moment au sein de notre communauté de communes et des communes de montagne.
NJ : Le bien vivre ensemble sur nos communes est menacé, à plusieurs niveaux. En plus des difficultés avec le tourisme, des tensions naissent avec le monde de la chasse. Les chiens de protection sont en liberté pour protéger les troupeaux. Ils peuvent partir en divagation et au passage croquer un jeune lièvre ou un jeune chevreuil. Le chien de protection est perçu par certains chasseurs comme un concurrent réel. De même les clôtures que les éleveurs posent sur les terrains privés ou communaux, elles entravent la chasse traditionnelle, empêchant les chiens de chasse de courir. Du fait de la prédation, les populations de mouflons et de chevreuils sont en forte diminution. Nombre de chasseurs sont découragés et arrêtent de chasser. Dès lors qui sera là pour réguler les populations de sangliers qui s’en sortent mieux face au loup ? C’est tout un équilibre entre les différentes activités de nos communes rurales que la présence du loup a rompu.
Est-ce que les loups s’approchent de vos villages ?
JD : Le loup s’approche du village depuis plusieurs années maintenant. En hiver, il passe devant chez moi. Je constate les traces dans la neige. En décembre 2016, c’était une année sans neige et en milieu d’après-midi, un loup a attaqué un troupeau. Les brebis, complétement affolées, se répandent dans le hameau. A ce moment-là, un enfant passe en vélo. Les patous surexcités courent, alors, après le gamin et provoquent sa chute. Suite à cette attaque, par l’intermédiaire de l’Usapr, nous avons alerté le préfet de Savoie qui a fait remonter aux ministères. Elus, nous ne savons pas quel comportement nous devons avoir quand des attaques ont lieu à 50 mètres des habitations. Comment devons-nous prévenir le risque d’accident, rassurer la population… La seule réponse apportée par l’Etat est un guide de comportement dans le nouveau plan national loup. C’est totalement insuffisant, il faudrait une vraie réflexion. A Saint-Colomban, pour un élevage de bovins, situé au cœur du village, ils ont eu un arrêté de tir de défense. Un loup rôdait à l’entrée de l’étable ou il s’asseyait en surplomb pour observer. Mais comment fait-on pour gérer ça ? Arrêté de tirs de défense dans un village, qu’est-ce que ça signifie. Nous ne sommes pas au Far West. On est vraiment confronté à de sérieux problème, y compris sur la sécurité des tirs. Il faut des tirs de prélèvement, c’est indispensable. L’Usapr a d’ailleurs formulé des demandes pour que les lieutenants de louveteries aient un meilleur statut et une indemnisation des frais de déplacement. Les chasseurs aussi peuvent avoir ce rôle-là. Il faudrait également renforcer la brigade loup de l’ONCFS qui offre une sécurité de tirs. Nous demandons des prélèvements et une sécurité de tirs.
NJ : Ici aussi les loups sont aux portes du village. Au pied des murs des maisons du village un cadavre de chevreuils a été retrouvé. Les pièges photos des chasseurs ont confirmé la présence des loups. On peut aussi les voir à proximité de la bergerie qui se trouve à moins de 100 mètres des maisons. Le loup est à côté, on vit presque avec lui. Il est présent et il ne craint pas l’homme.
JD : On ne fantasme pas sur l’attaque du loup sur l’homme. On la redoute. Personnellement, j’ai changé mes habitudes. J’avais l’habitude d’aller seule me promener en montagne. Maintenant, j’ai plus d’appréhension…. Est-ce que le loup est capable de faire la différence entre moi ou un animal dans certaines situations ? Même certains chasseurs du pays m’ont dit y penser, par exemple quand ils ramassent, courbés, des champignons.
Pensez-vous que le plan national Loup est efficace ?
JD : La difficulté dans laquelle on a placé les éleveurs est extrême. Il faut toujours plus de chiens, de clôtures parce que le loup arrive à les déjouer et à s’en jouer. Toutes les solutions proposées ont leurs limites, y compris pour les territoires. L’implantation des loups et des meutes est aujourd’hui très importante. J’ai le sentiment que l’Etat cherche des solutions mais qu’elles sont très difficiles à trouver. Dans ce dossier, nous sommes allés beaucoup beaucoup beaucoup trop loin dans la protection du prédateur et maintenant nous sommes tous comme des abeilles contre la vitre. On chercher des solutions, on cherche à améliorer les chiens de protection, à éduquer les touristes, on fait ceci cela…mais la réalité est que l’on ne maitrise pas la situation.
L’Usapr remet en question le statut du loup. Nous souhaiterions que la France ait plus d’optimisme et d’allant pour demander la révision de la convention de Berne et de la directive Habitat. Ce statut contribue en partie à la situation actuelle. En tant qu’association d’élus, nous avons beaucoup à apporter au débat de la manière la plus calme et la plus organisée possible pour dire il ne faut pas laisser les éleveurs et les bergers seuls face à ce dossier. Il faut vraiment organiser les choses avec la recherche maximale de sécurité.
NJ : Les loups ont perdu la crainte de l’homme et sont, de ce fait, plus hardis à mener l’attaque. A l’Usapr nous voudrions rendre cette crainte de l’homme au loup. Les moyens de protection actuels ne font pas comprendre aux loups qu’il ne faut pas s’approcher d’un troupeau et que ce n’est pas un garde-manger. Malheureusement, le seul moyen de compréhension est de lui inculquer une sensation de mal, en le tuant ou en le blessant. C’est difficile à accepter, mais c’est le seul moyen de communication. Il faudrait donc que les tirs de défense, soient facilités par le nouveau plan loup et que les éleveurs qui le souhaitent soient aidés dans leur mise en oeuvre. Il faut arriver à faire comprendre au loup que l’on ne peut pas s’approcher des troupeaux impunément et qu’il faut craindre l’homme. Les tirs de défense deviennent un moyen de protection à part entière à condition qu’ils permettent la sécurité de tous. C’est fondamental. L’important est que l’éleveur retrouve du calme pour exercer son métier sereinement sinon nos territoires vont se fermer, nos paysages seront à l’abandon et les villages continueront à se vider.